Du latin rumor signifiant « bruit qui court« . La rumeur est un phénomène qui existe depuis la nuit des temps mais qui se renforce avec les nouveaux moyens de communication. Elle a été à de nombreuses reprises étudiée par certains auteurs qui ont mis en avant son essence, les motivations qui poussent à mettre au point certaines affirmations erronées ainsi que les conséquences engendrées.
Allport et Postman en 1945, puis Kopferer, Raquette ou encore Mugny. Tous sont unanimes sur le fait que la rumeur est une affirmation générale présentée comme vraie, circulant des informations non encore confirmées publiquement, dont le contenu est trop souvent aversif ou agressif, non vérifiable dans l’immédiat, et impliquant des transformations sémantiques lors de sa transmission. La rumeur est donc une information dont il est difficile voire impossible de vérifier l’exactitude et qui se transmet à travers de multiples relais.
Conditions d’apparition d’une rumeur
Les rumeurs ont tendance à apparaitre dans un certain type de situation, notamment anxiogène. En effet, les contextes socialement conflictuels comme les guerres ou les crises économiques, ponctuels fortement chargés en émotion comme lors des attentats, menaçants comme les épidémies ou encore ceux fortement incontrôlables pour la population « tout venante » (bug de l’an 2000, progrès techniques) sont fortement chargés en rumeurs en tout genre. Nous avons pu le constater récemment avec la survenue du Covid 19 il y a bientôt deux ans. Des informations venues de toute part inondaient les réseaux sociaux et contaminaient même les chaînes d’informations.
Une diffusion large (possible aujourd’hui plus qu’hier), une source crédible, une information sensationnelle et un démenti impossible ou inefficace. Voilà ce qui assure sans nul doute le succès d’une rumeur.
Construction de la rumeur
La rumeur transforme les informations qui sont transmises par un triple phénomène de consolidation. Il se compose en trois processus simultanés, à savoir :
- la réduction : les détails de l’information sont peu à peu évacués pour fabriquer une information courte et facile à mémoriser, donc à transmettre.
- l’accentuation : sélection d’un nombre limité de détails tirés d’un ensemble plus vaste. L’accentuation peut être numérique (nombre de gens), temporelle (présent car plus sensationnel) et de mouvements (augmentation de la vitesse)
- l’assimilation : l’information est transformée dans le sens des valeurs et des croyances existantes dans l’environnement social. L’objectif est de rendre la rumeur conforme aux attentes sociales et culturelles
Fonction des rumeurs
Le but de la transmission d’une rumeur est multiple. Tout d’abord, c’est ce sentiment de contrôle sur des événements inconnus. Il se fait via le partage d’une explication, si irrationnelle soit-elle. Nous avons un besoin de contrôle, de comprendre. Nous n’aimons pas le vide, la « non-information ». Une explication, même farfelue, est davantage appréciée qu’un « je ne sais pas ». Lorsqu’un événement imprévus arrive, les chaînes d’informations meublent trop souvent, font des suppositions qui deviennent des hypothèses. Elles invitent même des soi-disant experts pour essayer de donner du sens. Cela permet de soulager, même momentanément, une tension émotionnelle. Ces chaînes éprouvent également une valorisation de soi dans la transmission d’une information inconnue par les autres. Elles sont les premières, les seules. Elles sont dans une situation de pouvoir social.
D’autre part, ces rumeurs permettent le renforcement de la cohésion d’un groupe par le partage social d’une information négative à propos d’un exogroupe. Par exemple, les membres d’un parti politique se targuent d’avoir raison en insinuant tel ou tel propos sur leurs adversaires, peu importe leur véracité. Evidemment, les rumeurs servent la rationalisation des croyances existantes dans la société. Elle peut servir pour justifier, appuyer un stéréotype ou un préjugé envers un autre groupe social.
Lutter contre la rumeur
Dans le cas d’une rumeur menaçante pour une personne, pour un groupe ou pour la stabilité de la société, le seul moyen de lutte reste le démenti. Mais il est souvent inefficace pour quatre raisons principales :
- il n’est pas diffusé : le démenti est, par construction, moins sensationnel, moins intéressant. Sa transmission est moins bien assurée. Nous ne voyons pas d’intérêt à fournir une information « banale » ;
- s’il arrive trop tard : le démenti paraît alors suspect car la rumeur est tellement partagée que « la quantité fait loi ». Il devient peu crédible et s’essouffle rapidement ;
- s’il arrive trop tôt : un démenti trop rapide peut-être un aveu de la rumeur et surtout, il peut générer la rumeur chez des gens qui ne la connaissaient pas (effet boomerang ou effet Streisand) ;
- il est incapable de prouver l’inexactitude de la rumeur : un démenti qui ne s’appuie pas sur une preuve n’est pas plus crédible que la rumeur
Enfin…
En conclusion, nous pouvons affirmer que plus le contexte social est fort, plus l’information est sensationnelle, et plus nous aurons recours à des raccourcis de pensées, voire des pensées magiques. Quand la vérité prend l’escalier, la rumeur prend l’ascenseur. D’autant plus lorsque l’information provient de sources dites fiables ou de personnes incarnant la vérité et l’autorité, le sérieux ou le prestige, l’impartialité et le respect, nous sommes toutes et tous candides face aux rumeurs.
Propos inspirés des cours de Patrick Scharnitzky et Béatrice Madiot à l’UPJV d’Amiens