Le racisme banalisé, la discrimination silencieuse
Il n’est pas impossible que vous ayez déjà été victime ou témoin de racisme dans votre vie car il s’immisce partout. Ca commence sur les bancs de l’école lorsqu’un parent d’élève ne veut pas que son enfant joue avec toi parce que tu es noire, puis au collège lorsque dans la pièce de théâtre tu joues la femme de ménage parce que c’est le seul rôle qui te convient, puis au lycée lorsque l’on s’étonne de te voir poursuivre tes études. Et je ne parle même pas du parcours du combattant pour des recherches d’emploi et de logement, des curriculum vitae (CV) anonymes et des discriminations à l’embauche… Le racisme n’a pas plus sa place sur le lieu de travail que dans la sphère privée.
Cela n’a l’air de rien, ou de si peu, et pourtant ce sont toutes ces remarques qui marquent une vie, toutes ces phrases qui nous font douter de tout, tout le temps. Comment avoir confiance en l’autre et en l’avenir si l’on est constamment réduit à sa couleur de peau ?
Les actes racistes ne cessent d’augmenter en France
Selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur, chaque année 1 à 1.5 millions de français auraient été victimes de propos et/ou d’actes de racisme systémique. Où que l’on soit, quoi que l’on fasse, il y a toujours quelqu’un quelque part pour nous rappeler que l’on est étranger. Et parfois même, cela justifie le fait que l’on puisse tout nous dire. « Je me suis embrouillé un jour avec un voisin, il m’a dit « si t’es pas content t’as qu’à retourner dans ton pays ». C’était humiliant, blessant, comme si son argument avait une valeur. J’ai acheté ma maison, je suis donc chez moi en l’occurrence et je suis né en France, mais comme je suis d’origine étrangère, on peut tout me dire. » me rapporte un jour un patient me consultant pour dépression.
Les blagues discriminatoires aussi sont monnaie courante. Car toute remarque blessante, rabaissante, passe plus facilement sur le ton de l’humour, et il est difficile de prouver que la personne est malveillante.
Entendre la fameuse phrase « d’habitude je n’aime pas les noirs mais toi je t’aime bien » est bien symptomatique d’un malaise. Je t’aime bien parce que je te connais et que je me rends compte que tu ne corresponds pas à l’image que je me suis faite des personnes appartenant à « ta communauté ». Ce simple constat prouve bien que les stéréotypes n’ont aucune valeur.
L’impact du racisme sur la santé mentale
Les conséquences d’un propos ou d’un acte raciste ne sont pas anodines. Perte de confiance en soi, repli sur soi, isolement, perte de goût et d’envie, dépression, anxiété, dépersonnalisation, perte de l’élan vital. Les personnes racisées n’osent plus aller vers les autres, de peur du racisme ordinaire, et du coup entendent des réflexions du type « tu es froid, tu n’es pas sociable, tu ne veux pas t’intégrer ». Dégoût des échanges humains, lassitude de ne pas être compris lorsque l’on dit que l’on en a marre d’entendre plusieurs fois par jour la même blague ou d’être réduite à un aspect physique, la personne victime de propos racistes présentera des accès de colère, parfois incontrôlables. Il faut réagir vite, ne pas l’accepter, ne pas se soumettre sous prétexte d’intégration. Il faut pouvoir parler et retrouver la confiance en autrui.
Témoignage d’une victime de racisme depuis toujours
Au détour d’un burn-out mal déconstruit datant d’il y a quelques années, ma patiente m’évoque les nombreuses remarques, blagues, différences de traitement qu’elle a subit depuis son enfance, à l’école, et qui se sont perpétuées dans la sphère professionnelle. Elle m’explique avoir ressenti le besoin de s’exprimer, d’écrire, de mettre des mots sur ce qu’elle a vécu et sur les événements qui passent trop souvent pour anodins aux yeux de quiconque.
Avec son accord, je vous publie ici son témoignage qui date d’il y a 2-3 ans, aussi émouvant que révoltant, qui j’espère fera ouvrir les yeux de certains sur un sujet dont tout le monde parle mais auquel personne ne prête attention : le racisme banalisé ou la discrimination silencieuse.
Voici son histoire…
Aussi loin que je me souvienne, ces phrases insidieuses ont toujours ponctué ma vie. Les demandes curieuses, « Tu viens d’où ? », « c’est ta couleur ou tu rentres de vacances ? », « Tu es bronzée ou tu es métisse ? » mais aussi plus pernicieuses, tout droit sortie d’un sketch de Muriel Robin, « mais t’es pas noire noire, tu es arabe ? Et toujours cette obligation de montrer patte blanche partout où l’on passe.
J’ai toujours été frappée par ces remarques. Percutée par la simplicité avec laquelle elles sont proférées sans jamais en mesurer l’impact sur la personne qui la reçoit. La première fois, j’avais 5 ou 6 ans, ma grand-mère m’avait confectionné un costume de princesse que j’avais hâte de porter pour le carnaval. Je me revois ensuite dans la salle de classe lorsque la maitresse s’est approchée de moi et m’a demandé « Tu es déguisée en quoi ? En Blanche neige ??! ». Rires. Je suis restée tétanisée sur place, sonnée, honteuse.Encaisser le choc
Au fil des années, comme un bourdonnement incessant, ces injonctions à décliner son pedigree deviennent régulières, banales, ordinaires. « Vous êtes de l’Union européenne ? », « Qui est noir dans ta famille ? », « Vous êtes la nounou ou c’est votre bébé ? », « Vous faites partie du staff ? » et s’opèrent dans toutes les sphères de la vie, privée ou professionnelle. Dans le monde professionnel justement, on glisse to schuss sur le versant comique du sujet. « La Compagnie Créole c’est de chez toi hein ? », « Pas trop vite le matin, tranquille l’après-midi ! », à prononcer avec un accent appuyé pour renforcer l’hilarité.
Ne rien dire
Se taire pour entrer dans le moule. Se taire pour ne pas pousser l’offense au « point Desproges » et sa version 3.0 « on ne peut plus rien dire ! », « c’est une blague ! ». Le rire est le propre de l’homme, dit-on.
Rire alors ?
J’adore rire. L’humour permet, d’ordinaire, de créer une atmosphère conviviale et de favoriser la cohésion, mais lorsqu’il est employé pour dévaloriser, rabaisser, il devient une arme discriminante, stigmatisante, blessante. L’humour au lieu de rassembler peut donc séparer, catégoriser les populations. Le côté obscur de l’humour. Le dernier spectacle de Norman en est une bonne illustration. « Bon maintenant, une blague sur les noirs ! », « Ce n’est même pas une blague, c’est une histoire vraie ! » La catégorisation y est poussée à son maximum et les clichés véhiculés s’enchainent violemment. « Au temps pour moi, c’est l’autre noire ! ». Ne dit-on pas également que dans chaque blague, il y a une part de vérité ?
La vérité, c’est que l’humour discriminatoire peut, potentiellement influencer les comportements et renforcer les fausses croyances. C’est ce qu’a pu démontrer certaines études universitaires sur le sujet (Thomas Ford). Ainsi, dans la conscience collective, les noirs se ressemblent tous, sont perçus comme feignants ou pire encore, « tu demanderas à n’importe qui qu’est ce qui sent fort, il te répondra les noirs ! » (à dire OKLM en réunion). Les conséquences sont dommageables, un accès plus difficile à l’emploi, au logement, aux promotions, aux soins parfois.
De mon côté, j’ai toujours joué de difficultés, la dernière à trouver un stage, celle que le vigile suit dans les magasins ou encore des refus de rendez-vous du type « Vous n’avez surement pas le budget pour construire ce type de maison. ». Par ailleurs, ce qui m’a le plus secoué, c’est de me rendre compte que certains membres de mon entourage proche voire, très proche, imaginaient que je n’avais pas eu mon BAC et que je n’avais aucun diplôme « Toi de toute façon, tu t’es arrêtée au BAC ». Le poids des clichés.
Alors doit-on minimiser ou nier l’impact de ces remarques parce qu’elles sont dites sur un ton curieux ou bouffon ?Il faudrait comprendre que toutes ces micros agressions additionnées les unes aux autres deviennent une charge de plus en plus lourde à porter. Et c’est souvent seul que l’on encaisse silencieusement.
Dans son poème prononcé lors de l’investiture de Joe Biden le 20 janvier dernier, Amanda Gorman souligne « que le silence n’est pas toujours la paix ».Briser le silence
L’année 2020, bien que spéciale, a eu le mérite de délier les langues et de faire tomber les masques sur divers sujets. On a vu des acteurs se lever et se casser, des joueurs de foot quitter le terrain, l’état dénoncer des violences policières. Un vent nouveau souffle désormais contre ce qui a longtemps été nié, toléré ou invisibilisé et cela est encore plus vrai cette année (tout sujet confondu).
Dans le monde réel cependant, il est difficile de se faire entendre, d’être pris au sérieux lorsque l’on se lève contre le racisme ordinaire. Aujourd’hui, on s’indigne à travers les réseaux sociaux, et les hashtag Black Lives Matter ou les écrans noirs y fleurissent. Mais qu’en est-il en situation réelle ? Dans la vraie vie, « On a tous déjà ri d’une blague comme ça !», « Ce n’était pas méchant, tu exagères ! », « ce n’est pas très grave ». Violence paradoxale. Généralement, les gens se taisent (ou pire rient) mais jamais je n’ai vu d’opposition.
Le silence change de camp ! On banalise le sujet ! Ce qui n’est pas à minimiser cependant, c’est la souffrance engendrée, le fait de devoir toujours s’adapter pour « tenter » de se faire accepter tel que l’on est, de devoir en faire plus pour être pris au sérieux, de devoir sortir du cliché. Être soit même, sans devoir, sans cesse, se justifier est difficile. Il y a deux camps, ceux qui rient et ceux qui souffrent. C’est la bataille de David contre Goliath, et David, muselé, est bien loin de l’avoir remportée.
C’est pourquoi j’aimerais me faire l’écho de toutes ces personnes qui vivent silencieusement des situations similaires et qui pourront se reconnaitre à travers mes mots qu’elles soient d’un côté ou de l’autre de la barrière. Parce que de l’autre coté de la barrière, on n’a pas toujours conscience de l’impact engendré.
Alors peut être que ce type de témoignage a déjà été fait, qu’il s’agit probablement d’une redite mais c’est surement à force de répétition que nous pourrons construire des ponts de compréhension et que la prise de conscience s’effectuera.Répéter
Parler pour sensibiliser et faire la lumière sur la portée psychologique de ces situations. Parler pour briser l’isolement et éloigner le côté « tolérable » de ce type d’expérience.
Témoignage d’une victime de racisme
Le rêve de certains ne s’est vraisemblablement pas encore réalisé mais « l’espoir fait vivre » !
Pour conclure
Le racisme banalisé, ordinaire, systémique ou décomplexé, peu importe son nom, est de plus en plus visible et fait toujours aussi mal. Les effets peuvent être dévastateurs sur celui qui en est victime. Le nombre d’injustices à travers le monde est inacceptable, au même titre que la haine qui en découle. Les stéréotypes raciaux n’ont aucune légitimité, nous sommes tous différents et nous sommes tous un élément indispensable du Monde auquel nous appartenons.